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Le p'ti monde de Cely
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10 octobre 2006

Suite Française

Je me décide à vous en parler, après avoir pris un peu de recul, le temps de mes vacances. Je vais m'étendre un peu, vous m'excuserez. Mais je suis encore toute retournée par cette lecture et je trouve qu'il y a beaucoup à dire.

Suite Française Irène NEMIROWSKI - 1942

suite_francaiseIrène Némirowski, dont je n'avais jamais entendu parler avant de lire ce livre, était une écrivain (écrivaine ?) très connue et surtout reconnue de son époque. Un de ses livres (David Golder – 1929) avait même été, à ma grande surprise, adapté au cinéma. Ses parents ont fui la Russie qui les menaçait, s'installant en France, où Irène fit sa vie. Elle était catholique d'origine juive, mais pour autant elle n'était pas tendre avec ses (compatriotes ? co-originaires ?) juifs et tenait dans ses romans un discours qui frisait l'anti-sémitisme. Tout cela est très bien détaillé dans la préface du livre.

Autant vous dire qu'à ce stade de ma lecture (la préface) je n'étais plus tellement enthousiasmée par le livre. Le personnage ne m'était pas du tout sympathique et j'avais peur de trouver dans le roman une sorte de pamphlet ou je ne sais quoi de plus où moins politico-anti-juifs. J'avais tort.

Au début de la guerre, Irène comme la majorité de la population française, fuit la capitale et s'installe en province avec son mari et ses deux filles. Par décret nazi, elle ne peut plus vendre ses écrits, mais va cependant entamer un ouvrage monumental, qui devait être le témoignage de cette époque qui, elle le sait déjà, marquera l'histoire du monde. Elle envisageait ça un peu comme un "Guerre et Paix" français, rien de moins. Le livre aurait dû être publié à la fin de la guerre quand tout serait rentré dans l'ordre. Elle n'en a pas eu le temps. Ce sont ses filles qui ont pris soin du manuscrit, qu'elles ont réussi à sauver. C'est il y a seulement quelques années que l'une d'entre elles parvient à le lire, pensant y trouver un journal, stupéfaite de tomber sur un roman, qu'elle décide de faire publier. Voilà pour l'histoire du livre. Tout le reste est détaillé dans la préface et surtout dans les annexes. Vous conviendrez que rien que l'histoire du livre pourrait faire l'objet d'un roman...

Suite française n'est donc pas un journal intime, c'est bel et bien un roman. L'histoire commence avec l'arrivée des allemands dans Paris et la fuite des habitants de la capitale vers la région de Tours. On y retrouve une petite dizaine de personnages qui se croiseront tout au long du livre. Des bourgeois, des paysans, de simples employés. Dans la première partie, c'est la fin de la guerre, l'invasion, la fuite, les espoirs déçus, les rébellions,...

Ce qui m'a particulièrement touchée dans cette partie, c'est que j'ai eu l'impression d'y retrouver l'histoire de ma famille. Mes grands-parents auraient pu être ces personnages. Ils avaient leur âge. Nous n'avons jamais vraiment parlé de cette période avec eux, et je ne sais pas ce qu'ils ont vécu, ce qu'ils ont ressenti. Je ne connaissais ni leurs codes ni les "convenances" de l'époque. Ce "choc des générations" ést d'ailleurs parfois une source de conflit avec eux.

Et là tout d'un coup dans ce livre, j'ai eu l'impression de les voir, eux, fuyant Paris (même si je sais pertinemment que ça n'a jamais été le cas). J'ai eu l'impression de les découvrir, de les connaître et de les comprendre un peu mieux.

J'ai pris conscience du temps qui passe et de la vie qui évolue, qui change. Je me suis demandé ce que la vie me réservera, à moi, et si je vivrai de tels grands et horribles événements. Quelles seront mes relations avec mes petits-enfants, si le fossé qui nous séparera sera grand. Je me suis rendue compte de la place de la famille, de l'héritage qu'elle nous transmet, et de la valeur de ce qu'elle nous apporte. Je ne sais pas si nous aborderons un jour ensemble cette période de leur vie, mais en tout les cas lire ce livre m'a rapprochée de mes grands-parents.

Dans la deuxième partie, on retrouve les mêmes personnages, pendant l'occupation. La vie reprend son cours, mais les Allemands se sont installés en France et vivent dans les maisons des occupés. Des liens se tissent, les personnalités se révèlent, la rumeur nait...

Dans cette partie, Irène semble s'attacher particulièrement au sens du devoir. La question qui revient est de savoir si les intérêts collectifs peuvent et doivent passer avant les intérêts individuels. Se développent également les relations humaines entre ennemis. Un peu à la Roméo et Juliette, un Allemand et une Française peuvent-ils s'aimer en pleine guerre ?

Comme tout le monde j'avais vu des documentaires sur cette époque, j'avais lu ces histoires de femmes rasées sur la place publique, de rumeurs et de règlements de comptes. Mais la vision que nous en avons aujourd'hui, si longtemps après, ne nous permet pas de comprendre ce qu'il s'est passé pour ces gens. Ce livre si, et en cela le pari d'Irène Némirowski est réussi : elle nous a transmis un témoignage de son époque.

Arrivée aux 2/3 du livre, je me suis demandé comment ça allait finir, si Irène aurait eu le temps d’achever son histoire. Je commençais à redouter que tout se termine abruptement, mettant en relief la raison pour laquelle le livre n'aurait pas été fini.

Elle prévoyait de rédiger cinq parties. Le livre s'achève à la fin de la 2e. C'est un dur retour à la réalité, notamment avec les correspondances entre Irène, son éditeur, puis son mari, après son arrestation. Le plus bouleversant, c'est de voir que personne ne semblait prendre la réelle mesure de ce qui se tramait de l'autre côté de la frontière, dans les camps.

Au final un témoignage bouleversant, que je suis très heureuse d'avoir lu, et que je relirai sans doute. J'ai beaucoup cogité pendant cette lecture et je voulais prendre un peu de recul avant d'entamer un nouveau bouquin, mais finalement j'ai aussi envie de découvrir ses autres livres... En attendant je viens de commencer "Le soleil des Scorta" de Laurent Gaudé.

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Commentaires
C
J'ai un peu honte, j'en ai jamais entendu parler... Je vais aller me renseigner histoire de combler cette lacune culturelle :o)
M
En ce moment, j'ai l'impression que tout le monde me parle du grand cahier.. faudrait que je me laisse tenter!
P
C'est bien tentant tout ça. Toutes les histoires de guerre ne sont pas des histoires de héros, regardez Le grand cahier d'Agota Kristof hein par exemple. Enfin c'est vrai qu'il n'y en a pas des masses.
C
La première partie m'a aussi beaucoup plus marquée que la seconde, mais je pense que si la suite avait été écrite ça aurait été différent.<br /> Et comme tu dis, la façon de présenter ces événement sous un jour si humain, dont on n'a pas du tout l'habitude (toutes les histoires de guerres sont des histoires de héros, faut entretenir le mythe...) rend ce livre bien plus attachant et réaliste que tous les autres.
M
J'ai lu ce bouquin "presue" au moment de sa sortie. Toutes les critiques étant tellement élogieuses, j'ai été un peu déçue sur le coup.. mais finalement, je garde un souvenir très fort de la 1° partie (pas du tout de la seconde si tu ne l'avais pas rappelé, bizarre!). Plutôt que de faire de tous les protagonistes des héros "biens sous tous rapports" comme l'aurait fait un roman écrit à postériori, c'est l'homme dans toutes ses bassesses (ou grandeur) qui est dépeint... captivant!
Le p'ti monde de Cely
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